À Montpellier :
Dialogues de style
Frédérique Maupu-Flament
Kiné actualité n° 1489 - 11/05/2017
L'univers poétique de la créatrice Constance Guisset propose une visite tout en finesse du design d'hier et d'aujourd'hui. Un dialogue délicat composé par l'une des figures les plus attachantes de la création contemporaine, au coeur de l'hôtel particulier Cabrières-Sabatier d'Espeyran, extension du Musée Fabre de Montpellier.
Pour cette première exposition dédiée au design en son sein, l’hôtel particulier Cabrières-Sabatier d’Espeyran, à Montpellier, a choisi Constance Guisset, créatrice inspirée. Élue designer de l’année 2010 au Salon Maison & Objets, elle a été récompensée par de nombreux prix depuis ses débuts il y a une dizaine d’années, parmi lesquels le Grand Prix du Design de la Ville de Paris en 2008 et le Prix de la meilleure scénographie en 2011, à l’occasion des Designers’ Days, à Paris toujours.
En quelques années, elle s’est imposée avec un vrai style, un de ceux qui permettent de voyager idéalement dans un rêve d’artiste. De la scénographie de spectacles ou d’expositions à la réalisation de vitrines de magasins en passant par des créations d’objets, de luminaires et de mobilier, son travail s’exprime avec liberté dans des univers très variés, tout en restant ancré dans le réel et notre quotidien. Avec de surcroît un humour facétieux qui lui évite le piège du sérieux dans lequel on enferme parfois le design.
L’art de vivre en son hôtelConstruit en 1873-1874 et légué à la ville de Montpellier en 1967, l’hôtel particulier Cabrières-Sabatier d’Espeyran propose une véritable plongée dans les 18e et 19e siècles à travers ses magnifiques appartements. Mobilier, céramiques et pièces d’orfèvrerie, l’art de vivre de la grande bourgeoisie montpelliéraine est ici célébré avec faste, grâce au legs de Madame Renée de Cabrières et de son mari Frédéric Sabatier d’Espeyran, en 1967. |
Un style aérien et subtil
Constance Guisset a toujours rêvé d’orner notre quotidien avec ses créations. Chez elle, c’est une vocation. Enfant, elle fabriquait des machines, bricolait avec bonheur quand d’autres jouaient à la poupée. Le pari est aujourd’hui réussi pour cette ex-Sciences-Po Essec et ENSCI [1], qui a su tirer richesse de son parcours atypique. Son style est aérien et animé d’une sensualité légère, toute en nuances. En témoigne l’une de ses pièces phares, la lampe Vertigo, sorte de cabane ajourée, enveloppante, qui ne pèse que 500 grammes et oscille au gré des courants d’air. Témoin aussi son amour du papier, né d’un long séjour au Japon, dont elle a façonné des œuvres fluides, froissées, pliées, transparentes.
Constance Guisset. |
Constance Guisset aime le théâtre et investit régulièrement cet univers. Elle a ainsi signé les scénographies du Funambule de Jean Genet, mis en scène et dansé par Angelin Preljocaj en 2009. Elle a composé Les Formes savantes, dont le titre est un clin d’œil aux Femmes Savantes de Molière, comme une pièce de théâtre. Dix scènes et dix lieux sont représentés chacun par une salle de l’hôtel Cabrières-Sabatier d’Espeyran, dans laquelle les objets des collections des 18e et 19e siècles séjournent à l’année. Les Formes savantes propose un dialogue de vive voix entre ces collections permanentes, révélatrices des usages de leur temps, avec les créations de l’artiste et le design actuel.
Des meubles qui parlent
Le visiteur est plongé dans un son et lumière, dont le texte a été écrit pour cette occasion par Frédéric Dassas et Adrien Goetz, avec des didascalies (indications de mise en scène) de Cloé Pitiot, et enregistré par des comédiens. Les objets anciens et les œuvres de Constance Guisset cohabitent sous nos yeux, discutent, s’interpellent, fraternisent ou se critiquent ouvertement au fil de dialogues pleins de fantaisie. Ils évoquent leur style, leur beauté, leurs usages au fil du temps ; échanges qui, en traversant les époques, nous permettent d’appréhender les enjeux du design contemporain, sa naissance et son évolution. Une approche ludique et didactique pleine d’humour !
On chemine ainsi de surprise en surprise avec des objets innovants tels que le miroir Francis, issu d’expériences chromatiques, les boîtes Cairn superposées librement grâce à des aimants dissimulés, les couverts Funambule maintenus en équilibre par un système d’imbrication discret, ainsi que les fameuses lampes Vertigo, tous marqués par le talent de l’artiste à jouer entre fragilité et évidence de l’utile.
Au-delà de son aspect esthétique, cette exposition interroge de façon profonde les liens parfois complexes que nous entretenons avec les objets de notre quotidien, ces acteurs de notre vie intime. C’est aussi une invitation à nous interroger sur nos modes de vie, à laquelle on répond de bonne grâce car la promenade est légère et ludique. Une bien jolie façon de répondre affirmativement à la question de Lamartine : “Objets inanimés, avez-vous donc une âme ?”
Jusqu’au 17 septembre 2017 |
[1] École nationale supérieure de création industrielle.
© D.R.
© Constance Guisset Studio
© Musée Fabre de Montpellier Méditérranée Métropole - Photographie Frédéric Jaulmes/Constance Guisset