La marche sur la pointe des pieds du petit enfant
Georges-François Penneçot
Kinésithér Scient 2016,0581:45-46 - 10/11/2016
Parmi les problèmes orthopédiques rencontrés fréquemment chez le petit enfant, la marche sur la pointe des pieds est une cause habituelle de consultation. Elle est source d’inquiétudes parentales menant à la demande d’un avis spécialisé. Bien que le plus souvent banale et spontanément résolutive, elle pose problème au thérapeute car elle peut également être le révélateur d’une pathologie sévère.
Il est très souvent difficile lors de la première consultation de trancher entre réelle pathologie et simple anomalie qui se résoudra spontanément. Il faut donc essayer de dépister les premiers signes d’une pathologie inquiétante (d’origine neurologique ou musculaire) tout en évitant de provoquer une inquiétude qu’une demande d’avis d’un spécialiste et d’examens complémentaires sophistiqués pourrait renforcer.
L’examen doit commencer par un interrogatoire de la famille recherchant les circonstances de l’accouchement, le terme, l’existence de difficultés notamment à monter les escaliers ou à se relever de la position accroupie, la consultation du carnet de santé facilitera cette recherche d’une cause éventuelle. De même, on recherchera l’existence d’anomalie semblable dans la famille. Ce premier interrogatoire est essentiel car il permet le plus souvent d’écarter la possibilité d’une pathologie sévère.
On observe ensuite l’enfant marcher en salle de consultation avec et sans chaussures. Chez le petit enfant la marche pieds nus peut être perturbée par un sol trop froid (carrelage) qui incite l’enfant à marcher sur la pointe des pieds. Il importe de savoir si l’enfant marche en permanence sur la pointe ou si cela n’est qu’épisodique (notamment lorsqu’il court), et d’observer s’il reste sur la pointe lorsqu’il s’arrête ou s’il repose alors les talons au sol. Une marche épisodique sur la pointe est souvent le fait de très jeunes enfants ayant débuté la marche récemment, elle est le plus souvent non pathologique, l’enfant acquiert une marche normale dans les mois qui suivent.
L’examen sur table doit comporter un bref examen neurologique à la recherche de signes pyramidaux (vivacité des réflexes, spasticité du triceps) et une évaluation de la force musculaire. Il se poursuit par la recherche d’une éventuelle rétraction du triceps. On distinguera une rétraction du soléaire en recherchant l’amplitude de flexion dorsale de cheville alors que le genou est fléchi et une rétraction des gastrocnémiens en répétant la manœuvre genoux tendus.
Au terme de cet examen, plusieurs situations sont possibles :
– il s’agit d’un très jeune enfant sans antécédents particuliers. L’examen n’a pas permis de mettre en évidence la moindre anomalie, notamment aucune rétraction du soléaire ou des gastrocnémiens. Il s’agit vraisemblablement d’une simple attitude qui disparaîtra en quelques mois. On peut simplement conseiller le port de chaussures à tige montante et rigide et demander à revoir l’enfant quelques mois plus tard. Si cette démarche a disparu, il n’y a pas lieu de s’inquiéter. En revanche, si la démarche sur la pointe des pieds persiste, il faut reprendre l’examen et rechercher notamment l’apparition d’une diminution de l’amplitude de flexion dorsale de cheville. Dans ce cas, quelques séances de kinésithérapie visant à étirer le triceps, le port de chaussures montantes à tige rigide et éventuellement la confection d’attelles de maintien nocturne peuvent être utiles. Il faudra suivre l’évolution sous traitement et ne pas hésiter à poursuivre les investigations si aucune amélioration n’apparaît. L’avis de l’orthopédiste pédiatre est alors indispensable ;
– il s’agit d’un très jeune enfant, mais on retrouve soit des antécédents familiaux, soit surtout la notion de naissance difficile ou de prématurité. L’avis du spécialiste est nécessaire car il peut s’agir de signes minimes de paralysie cérébrale, ou bien d’une pathologie neurologique ou musculaire familiale. La prise en charge devient beaucoup plus globale et nécessite un avis pluridisciplinaire spécialisé ;
– il s’agit d’un enfant un peu plus âgé, mais dont l’âge est inférieur à 5 ans. Cela fait plusieurs années qu’il marche sur la pointe des pieds, malgré quelquefois une prise en charge épisodique. Il est indispensable d’éliminer par l’examen clinique toute pathologie neurologique ou musculaire. Le plus souvent, la présence d’une légère rétraction du triceps est la seule anomalie retrouvée. La flexion dorsale de cheville n’atteint pas l’angle droit, mais on ne retrouve pas de réflexe d’étirement, ni de vivacité des réflexes. On ne retrouve pas non plus la notion d’une apparition progressive d’une certaine faiblesse musculaire remarquée lors de la montée des escaliers ou lors du passage de la position accroupie à la position debout. Compte tenu de la persistance de ce trouble de la marche, un avis spécialisé est néanmoins indispensable. Il pourra alors être indiqué de poursuivre les investigations par des examens complémentaires. Ceux-ci permettront le plus souvent d’éliminer toute pathologie générale, mais ils ont l’inconvénient d’inquiéter la famille souvent pour une anomalie ne relevant que d’une simple habitude de marche en position vicieuse. Si aucune pathologie n’est retrouvée, il importe de traiter la rétraction du triceps. Le traitement comporte alors l’association de séances de kinésithérapie, d’un maintien nocturne par des attelles et du port de chaussures montantes à tige rigide. En cas d’inefficacité, le traitement peut comporter la confection de plâtres correcteurs successifs pour étirer le triceps. Le gain étant obtenu, la reprise du traitement par kinésithérapie, maintien diurne et nocturne doit être poursuivi pendant plusieurs mois ;
– il s’agit d’un enfant de plus de 5 ans dont l’amplitude de flexion dorsale de cheville est fortement limitée. Là encore, la recherche d’une pathologie générale est indispensable, l’avis d’un spécialiste doit être demandé, des examens complémentaires seront pratiqués. En l’absence d’une pathologie générale, il faut récupérer la flexion dorsale de cheville. Le traitement débute le plus souvent par des plâtres correcteurs successifs. Si aucun gain n’est obtenu, on peut y associer l’injection de toxine botulique. Dans de rares cas, un allongement chirurgical des jumeaux ou du soléaire peut être indiqué. Ce geste chirurgical pour les cas les plus récalcitrants peut alors s’accompagner d’une éventuelle biopsie musculaire voire nerveuse qui permettra alors d’éliminer ou de confirmer l’existence d’une pathologie neurologique ou musculaire.
Au total, la démarche sur la pointe des pieds du jeune enfant est un motif fréquent de consultation. Bien que le plus souvent spontanément régressive en quelques mois, il est essentiel de rechercher une éventuelle étiologie. En l’absence du moindre doute chez le très jeune enfant, une simple surveillance est suffisante. S’il existe une petite limitation de flexion dorsale de cheville, rééducation, chaussures montantes et éventuellement attelles de maintien nocturne sont suffisantes.
En revanche, le traitement doit être plus agressif chez l’enfant plus âgé ; dans ce cas, l’avis du spécialiste est indispensable, tant pour approfondir la recherche étiologique que pour décider de la mise en route de traitement plus lourd pouvant aller jusqu’à la chirurgie.
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