Au Musée Picasso à Paris : Les «camarades» du peintre
Damien Regis
Kiné actualité n° 1442 - 07/04/2016
“Ses sculptures faisaient partie des habitants de sa maison. Elles n’étaient pas des objets fixes mais des camarades avec lesquels il vivait”, raconte l’historien d’art Werner Spies dans le catalogue de l’exposition [1]. “Picasso se conduisait comme un enfant débordant d’énergie auquel on a envie de taper sur les doigts pour qu’il se tienne tranquille.” Chez le maître de Vauvenargues, tout était en effet prétexte à la création. De ses mains toujours mobiles, il transformait toute matière en une œuvre, presque par jeu. Il modelait la terre et le plâtre, taillait la pierre, sculptait le bois, travaillait le bronze, assemblait des objets hétéroclites, pliait la tôle, soudait des morceaux de fer, cuisait la céramique…
Les œuvres réunies à l’hôtel Salé montrent toute l’étendue de cette créativité foisonnante. C’est l’exposition la plus importante depuis la rétrospective présentée en 1966 au Petit Palais et celle proposée en l’an 2000 par le Centre Pompidou.
"Petit cheval". Cannes, 1961. Éléments de table à roulettes, en métal coupés, assemblés et peints. 66,5 x18 x 60,5 cm. Collection particulière. Courtesy Fun-dación Almine y Bernard Ruiz-Picasso para el Arte. |
"Tête de femme au chignon", Boigeloup, 1931(plâtre). Avril-juillet 1937. Ciment unique. 142 x 54,5 x 62,5 cm. MPA 1950.3.2. Musée Picasso, Antibes. |
Oser l’improbable
L’une des plus fameuses sculptures de Picasso remonte à 1909. Il s’agit de Tête de femme (Fernande), une œuvre très avant-gardiste considérée comme la première sculpture cubiste. On a beaucoup de mal à reconnaître dans ce plâtre aux traits anguleux la tête de Fernande Olivier, qui fut la compagne du maître entre 1904 et 1912 ! C’est bien une représentation très personnelle aussi qu’il donne en 1931 de la jeune Marie-Thérèse Walter, dont il est fou amoureux. Il choisit d’affubler cette tête de femme en ciment d’un nez à la forme phallique, sans doute pour exprimer sa folle passion charnelle.
Chez Picasso, dont on sait qu’il aimait passionnément les femmes, on mesure l’art de transformer tout corps féminin en muse, en déesse ou… en monstre. Avec La femme enceinte, un bronze de plus d’un mètre de hauteur réalisé en 1950 alors qu’il vient d’être deux fois père, il insiste sur ce qui caractérise à ses yeux la future mère : des seins lourds, un ventre rond et bas. Jusqu’à donner à son personnage une allure primitive qui traduit la permanence du rôle reproducteur de la femme à travers les âges.
Un peu plus loin, le sculpteur “qui se conduisait comme un enfant” assemble, en 1961, les éléments d’une table à roulettes pour en faire un Petit cheval mobile. Une étonnante série de six bronzes peints de 1914, Le verre d’absinthe, avec leur cuillère à absinthe en métal blanc et leur morceau de sucre en équilibre, montre le côté facétieux d’un Picasso qui ose tout, y compris l’improbable. n
[1] Somogy éditions
Jusqu’au 28 août 2016 "Picasso. Sculptures” 5, rue de Thorigny 75003 Paris Tél. : 01 85 56 00 36 et www.museepicassoparis.fr |
Au Forum antique de Bavay (Nord)
Yourcenar et l’empereur Hadrien
Le musée archéologique du département du Nord propose une exposition qui ne peut que passionner les admirateurs de l’immortelle Marguerite Yourcenar, première femme admise à l’Académie française, dont l’œuvre littéraire fut dominée par les célèbres Mémoires d’Hadrien.
Cinq étapes sont proposées en empruntant le chemin de création de l’écrivain dont on commence par montrer les colossaux travaux de recherches. Puis on aborde la vie même de l’empereur romain, le bâtisseur, l’esthète, l’ami des arts, l’admirateur de la culture hellénique… On s’attache notamment à montrer sa passion pour son favori et amant Antinoüs, qui meurt noyé dans le Nil dans des circonstances mystérieuses.
"Antinoüs Mondragone", |
L’exposition démontre la place de l’Antique dans la création littéraire, avec la frontière incertaine entre le témoignage archéologique irréfutable et la création de l’écrivain. Elle ne lève pas le doute sur la part d’imagination de Marguerite Yourcenar qui rédigea son œuvre (qu’il faut lire ou relire) à la façon des mémoires réelles de l’empereur Hadrien, jusqu’à laisser penser qu’il s’agit de son témoignage direct.
Manuscrits, éditions originales de l’auteur et lampes, encriers, monnaies et autres objets de l’époque d’Hadrien se mêlent pour faire renaître cette époque romaine et celle qui la magnifia.
Jusqu’au 30 août 2016 |
© Tom Jenkins. Succession Picasso.
© FABA. Marc Domage. Succession Picasso.
© imageArt, Claude Germain. Succession Picasso – Gestion droits dʼauteur.
© Emmanuel Watteau. Forum antique de Bavay, département du Nord.