Où commence la maltraitance
Sophie Conrard
Kiné actualité n° 1462 - 20/10/2016
J’ai lu le dernier livre de Martin Winckler [1] parce que j’aime beaucoup ses romans (“Les trois médecins”, “La maladie de Sachs”, “Le chœur des femmes”…), et parce que je trouve très saine sa façon de penser. Son dernier ouvrage est un essai plutôt qu’un roman, mais on le dévore avec la même facilité. Certains médecins l’ont très mal pris, jugeant qu’il stigmatise toute une profession sans distinguer les “bons” médecins de leurs confrères “maltraitants”. D’autres ont brandi un argument imparable : la pression croissante subie par certains médecins, en ville comme à l’hôpital. Écrasés par la surcharge de travail, les contraintes administratives et une obligation de rendement, ils n’ont plus le temps ni les moyens de recevoir convenablement chaque patient.
Ces contraintes sont réelles. Mais je vous pose la question : comment font tous ceux qui ne “maltraitent” pas les patients ? À commencer par mon médecin traitant, un ange de patience, accueillant, attentif, réfléchi, consciencieux… ou par cette interne des urgences et sa responsable (expérience récente) qui ont pris le temps de m’examiner et m’écouter, ni blasées ni pressées de plaquer sur mon cas un diagnostic pré-établi pour me renvoyer chez moi au plus vite et faire du chiffre. Je les en remercie ! Quand je suis face à ce genre de soignants, le seul fait de les voir me procure une sensation de soulagement, parce que je sais que je suis entre de bonnes mains. C’est bête, hein ? Pas tant que ça : la dimension humaine fait partie intégrante du soin.
Il y a des “brutes” dans tous les milieux professionnels. Lisez ce livre (ou pas) et pensez-en ce que vous voudrez. Mon propos n’est pas de jeter l’opprobre sur les médecins. Je souhaite simplement vous inviter à la réflexion.
Quel est votre rapport au patient, au quotidien ? L’accueillez-vous d’un “bonjour” souriant ? Au bout de combien de secondes réclamez-vous sa carte Vitale ? Je cherche la petite bête, là, mais qu’est-ce que ça m’agace qu’on me la demande avant même de savoir pourquoi je suis là !
[1] “Les brutes en blanc”, Flammarion, octobre 2016.
© D.R.