Se former, s'informer, s'entourer...

S'engager dans un syndicat :
L'esprit d'équipe

Sophie Conrard
Kiné actualité n° 1440 - 24/03/2016

Traditionnellement, en France, le syndicalisme a mauvaise presse. Chez les salariés comme les libéraux. S'engager pour la défense de la profession ne va pas de soi. Cela prend du temps et de l'énergie. Certains en font pourtant le choix. Ka les a rencontrés pour vous faire partager leur expérience et leurs convictions.

Non, les adhérents des syndicats professionnels n’ont pas tous une coupe de Playmobil ou une moustache. Non, ils ne sont pas tous vieux. Et si vos aînés représentent une bonne partie des effectifs, c’est sans doute parce que leurs enfants sont grands et qu’ils n’ont plus besoin de consacrer toute leur énergie à se constituer une patientèle. Autant de sacrifices qu’un jeune a (à raison) plus de mal à faire.

Non, les kinésithérapeutes syndiqués n’ont pas tous (loin de là !) cessé (ou presque) de voir des patients pour se consacrer à la défense de la profession. La plupart sont des gens comme vous, qui mènent de front leur carrière professionnelle et leur engagement syndical, ce dernier occupant une part plus ou moins importante de leur temps libre.

Non, les syndicats ne passent pas leur temps à défendre des causes perdues ou éloignées des préoccupations des “kinés de base” sur le terrain. Non, on ne peut pas dire qu’ils ne servent à rien. Non, grimper dans la hiérarchie d’un syndicat n’est pas un moyen d’arrondir ses fins de mois en touchant des indemnités ; c’est même le contraire. Les heures qu’on y passe, ce sont des heures perdues pour le cabinet, et les remboursements de frais auxquels on a droit ne compensent pas la perte de revenus. Non, un syndicat ce n’est pas la même chose que l’Ordre.

Les clichés sur le syndicalisme sont nombreux. C’est pour les faire tomber que nous avons choisi d’y consacrer cette semaine un dossier.

Incontournables dans le dialogue social
Un syndicat, c’est un endroit où trouver des informations utiles, et une équipe de confrères susceptibles de vous apporter de l’aide si vous êtes en difficulté. C’est aussi, souvent, l’occasion de profiter de tarifs intéressants sur la formation continue, une assurance ou un abonnement à Kiné actualité, par exemple.

Et surtout, à ce jour, en France, on n’a pas trouvé d’autre solution pour formaliser le dialogue entre une profession (quelle qu’elle soit) et les pouvoirs publics ou les tutelles. Pour votre profession, ce sont les syndicats qui négocient avec l’assurance maladie lorsqu’il s’agit d’ajouter un avenant à votre convention. Il ne faut pas oublier que ce sont eux qui ont eu la peau de la lettre clé flottante que voulait instaurer l’assurance maladie dans les années 2000 (lire encadré ci-dessous) !

Certains estiment que “les syndicats n’ont aucun poids” et “n’obtiennent jamais rien”. Comprenez que plus un syndicat compte d’adhérents, plus il aura de chances de se faire entendre ! S’il ne représente qu’une petite partie de la profession, c’est plus difficile…

Un peu d’histoire

Quand les syndicats font avancer la profession
- 1963 : création de la FFMKR. Les premières conventions avec l’assurance maladie doublent la valeur de la lettre clé, ainsi que les coefficients de la nomenclature.
- 1977 : création du SNMKR.
- 1979 : la FFMKR met en place un tarif syndical qui permet une revalorisation des honoraires.
- 1980 : l’amendement Besson autorise les “techniciens thermaux” à pratiquer la gymnastique médicale et le massage. La FFMKR obtient que cette mesure reste transitoire et limitée à l’établissement thermal d’Aix-les-Bains.
- Années 1980 : manifestations “Ma santé, j’y tiens” avec les autres professions de santé.
- 1985 : actualisation du décret d’acte et d’exercice, qui inclut la thérapie manuelle.
- 1987 : premières expérimentations de l’entrée en IFMK par le biais de la PCEM1 à Besançon, Dijon et Vichy.
- 1997 : la FFMKR bloque les centres de rééducation, qui ne sont pas concernés par les mesures d’économie de l’assurance maladie, contrairement aux libéraux. Projet de refonte de la nomenclature.
- 1998 : le rapport Brocas ouvre la porte à des réformes qui se déploieront par la suite : prescription médicale non quantitative (effective en 2000), diagnostic kinésithérapique (création du BDK en 2000), droit de prescription de certains produits et petits matériels (2002), universitarisation des études.
- 2000 : la Sécu tente d’instaurer la lettre clé flottante, suscitant de grandes manifestations dans toute la France.
- 2012 : la FFMKR fait tomber la proposition de loi Debré qui voulait inclure les ostéopathes dans le code de la santé publique. Elle obtient par ailleurs la suppression de la taxation des feuilles de soins papier et la suppression de la demande d’accord préalable.

Certains s’engagent très jeunes
Qu’est-ce qui peut bien pousser un masseur-kinésithérapeute libéral à adhérer à un syndicat ? Pour certains, c’est une tradition familiale. L’un ou l’autre des parents était engagé, leur enfant a été sensibilisé à cette cause, à ces valeurs et, une fois son diplôme en poche, il prend sa carte rapidement.

Vincent Bernard (FFMKR 84)

D’autres étaient déjà engagés dans des mouvements étudiants, comme Françoise Devaud (FFMKR 16, lire encadré ci-dessous) ou Didier Paquier (FFMKR 69, lire p. 44). D’autres encore sont entraînés par un ami, comme Yann Chapotton (FFMKR 69), sensibilisé à la question par son camarade de lycée Vincent Bernard (FFMKR 84).

Françoise Devaud

“L’esprit de corps”
Chez Françoise Devaud, le syndicalisme est “une tradition familiale” : son père était président de l’Union locale des syndicats chrétiens. Assurément, elle a “l’esprit de corps : on doit défendre sa profession, quelle qu’elle soit !”, insiste-t-elle. Jeune, elle s’investit dans les mouvements étudiants, “fait Mai 68 et participe à des débats enflammés dans les amphis de la fac médecine”. Elle est aujourd’hui vice-présidente de la FFMKR et son parcours illustre à quel point l’engagement syndical peut marquer une carrière… et une vie personnelle. Adhérant à la FFMKR en 1970, dès son installation en libéral, Françoise Devaud trouve avec le syndicat de Charente-Maritime “un lieu d’échanges entre pairs” et “une précieuse source d’informations, à une époque où il n’existait pas autant de canaux d’informations qu’aujourd’hui”. Progressivement, elle gravit les échelons, prend un poste au conseil d’administration, puis au bureau. Elle assiste à chaque congrès annuel : “Avant l’arrivée d’Internet, c’était vraiment le rendez-vous de l’année !” Dans les années 1990, elle devient présidente de la FFMKR 16, puis est sollicitée pour entrer au conseil fédéral. Elle y met le pied en 1999 et y reste jusqu’à son élection au bureau national de la FFMKR, en 2013 lors du congrès de Rouen.
Elle a participé aux grandes manifestations de la profession, bloquant par exemple pendant une journée la ville d’Angoulême avec une trentaine de voitures, pour protester contre la mise en place de la lettre clé flottante en 2000. Cette envie de défendre sa profession est née de son amour pour son métier : “Je l’aime passionnément et je pense aux jeunes qui nous suivent : pourront-ils l’exercer dans de bonnes conditions ?” Elle suit certains dossiers avec une attention particulière : “La retraite, c’est le dossier qui me tient à cœur depuis toujours”, affirme celle qui a été deux fois élue présidente de la Carpimko.
Cette vie consacrée à la défense de sa profession lui a aussi apporté “une certaine ouverture d’esprit. On ne reste pas entre nous, on est sans cesse en rapport avec tous les acteurs du système : l’assurance maladie, les ministères, les autres professions…”.
Au gré des virages professionnels et des déménagements, son engagement au sein de la FFMKR est demeuré une constante : “Je considère le syndicat comme une famille, auprès de laquelle j’ai des obligations. Je ne conçois pas ma carrière sans cette dimension. Ma vie, c’est l’exercice libéral, mes patients, des prescripteurs et le syndicalisme”, résume-t-elle. Amenée récemment à choisir entre son cabinet et son engagement au niveau national, elle a sacrifié le premier, faisant valoir ses droits à la retraite un peu plus tôt que prévu (à 66 ans tout de même).
Pour mener un tel parcours, il faut être prêt à sacrifier, ponctuellement en tout cas, sa vie de famille et son cabinet. “Il faut avoir envie de s’organiser en fonction de ça. Il n’y a pas que les réunions à Paris ou ailleurs. Il faut compter le temps de préparation, les heures passées dans les transports, on rogne sur ses vacances… En fait, on travaille tout le temps ! Je m’en suis parfois voulu d’adresser mes patients à des confrères dont j’ai chamboulé le planning”, reconnaît Françoise Devaud. “L’engagement se prolonge à mesure qu’on réalise qu’une profession est toujours en mouvement et qu’aucun acquis n’est jamais définitif.”
Ses enfants ne semblent pas lui en vouloir puisque l’un d’entre eux a embrassé une carrière médicale et s’est également engagé dans la vie syndicale. Même la génération suivante est conquise : “Mes deux petites-filles veulent devenir kiné !”, se réjouit-elle.

Ce dernier a adhéré à la FFMKR en 2000, “dès le premier jour où j’ai commencé à exercer. J’y tenais absolument. Je voulais apporter ma pierre à l’édifice pour défendre mon métier et mes conditions d’exercice, pour que dans vingt ans, des jeunes aient encore envie de faire kiné”, raconte-t-il.

Déjà à l’époque, il était “conscient qu’il faut être nombreux pour obtenir des résultats”.

Au début, il apporte simplement une contribution financière en cotisant auprès de son syndicat départemental [1] et assiste à certaines réunions. Rapidement, il s’investit de plus en plus. En 2005, il entre au conseil d’administration. En 2015, il est élu à l’URPS-MK de sa région, un cadre dans lequel il est “très impatient de s’investir. Car l’URPS, c’est du concret” pour ce praticien qui se sent “parfois un peu frustré par les difficultés rencontrées pour mener à bien des projets syndicaux”.

Xavier Celli (FFMKR 54), 30 ans, s’est également “syndiqué tout de suite, pour ne pas se sentir isolé” dans son cabinet. “J’avais besoin de conseils pour certaines démarches, j’ai rencontré des responsables départementaux et j’ai immédiatement compris quel était l’intérêt d’un syndicat. J’ai trouvé normal de commencer à les soutenir financièrement, avant d’aller plus loin”, raconte-t-il, avouant qu’au début, il les appelait “surtout en cas de problème”. Depuis, il a parcouru du chemin puisqu’il est entré au conseil d’administration de son syndicat départemental, puis a été élu conseiller fédéral en 2015.

Xavier Celli (FFMKR 54).

Mariama Bah (FFMKR 69) a été convaincue de s’engager sur le plan syndical suite à une discussion avec un confrère lors d’une soirée scientifique organisée par le C3R (Cercle de recherche en rééducation et réadaptation) en 2012. Cette année-là, le congrès annuel et les Assises de la kinésithérapie étaient organisés près de chez elle, à Lyon : “C’est là que j’ai tout découvert. Avant, je portais un regard assez critique sur l’action des syndicats, parce que beaucoup de choses m’échappaient. J’avais l’impression que nos revendications n’étaient pas entendues, qu’ils se laissaient dicter les choses par le ministère de la Santé ou l’assurance maladie”, se souvient-elle. “Lors de ce congrès, j’ai rencontré une équipe très active et très chaleureuse au niveau départemental, et j’ai compris quel était le but d’un syndicat. Cela m’a donné envie de m’investir.” Elle avait 32 ans.

Mariama Bah (FFMKR 69).

Pourquoi choisir la FFMKR et pas un autre syndicat ? Beaucoup apprécient précisément son organisation fédérale, qui engendre parfois une certaine lourdeur dans la prise de décision, mais surtout un côté profondément démocratique. “Je trouve qu’elle adopte toujours une position réfléchie, par rapport à d’autres qui sont plus gueulards. Cela me semble plus sain, et au final elle est plus combative, même si ça ne se voit pas forcément de l’extérieur”, estime Vincent Bernard. En tant que salariée, Mariama Bah avait entendu parler d’Alizé mais n’a “pas été convaincue. Ce n’est pas parce que je suis à la FFMKR que j’adhère à toutes ses positions ! Mais j’apprécie que tout ne se décide pas à Paris. Les départements ont la main et peuvent faire des propositions.”

Pas forcément chronophage
S’engager dans la vie syndicale ne demande pas nécessairement une réorganisation complète de votre agenda. Surtout au début, cela peut prendre la forme d’un simple soutien financier. Cela commence par assister à quelques réunions et voter lors des élections professionnelles. On prend un peu sur son temps libre, celui qu’on consacre à sa famille, aux loisirs…. On participe à des réunions le soir et le week-end.

Pour beaucoup, le congrès annuel de la FFMKR est un rendez-vous incontournable. Vincent Bernard y assiste “chaque année depuis celui de Grenoble, en 2007. C’est l’occasion de retrouver des confrères de toute la France et d’échanger sur nos manières de travailler, nos problématiques de terrain, les dossiers en cours… C’est agréable de rencontrer des gens qui ont la même envie que soi d’œuvrer pour la profession ! Le congrès est aussi l’occasion de participer à la prise de décision et me tenir informé de ce qui se passe au niveau national”.

Un sentiment partagé par Xavier Celli, qui y a assisté pour la première fois en 2015, au Mans, et a apprécié d’avoir “la restitution du travail accompli pendant l’année et le cap fixé pour celle qui vient”. Cela permet aussi de “se rendre compte du chemin qui reste à parcourir pour mener à bien certains dossiers ! C’est dommage qu’il n’y ait pas plus de monde [2]”, regrette-t-il, conscient que “certaines années, en fonction de la destination, ça entraîne quatre jours d’absence au cabinet et ce n’est pas simple de s’organiser avec les patients, sans parler de la perte de revenus”.

Au quotidien, Mariama Bah se sent “encore trop inexpérimentée” pour prendre des responsabilités et, par exemple, représenter son syndicat en CSPD. Mais elle suit avec attention certains dossiers (la réforme des études, l’entrée à l’université et l’accès à la recherche) et elle a aujourd’hui intégré le conseil d’administration de la FFMKR 69. Elle ne manquerait pour rien au monde les Assises de la kinésithérapie, organisées une fois tous les deux ans en marge du congrès annuel de la Fédération : “On élève le débat, ça donne de la profondeur à toutes les questions qui nous préoccupent habituellement. J’ai été durablement marquée par certains intervenants lors de précédentes éditions : le philosophe Vincent Cespédès (à Lyon en 2012), l’économiste de la santé Frédéric Bizard (La Grande Motte, 2014)…”, énumère-t-elle.

En dehors du congrès annuel, son engagement syndical représente pour Xavier Celli “quatre réunions par an pour le conseil d’administration du syndicat départemental et une assemblée générale, auxquelles il faut ajouter des réunions extraordinaires en fonction des dossiers en cours, quatre conseils fédéraux par an, du travail personnel le soir, le temps passé au téléphone ou à répondre aux mails… D’autant plus que je suis nouveau au conseil fédéral, alors je passe du temps à lire et à étudier les dossiers pour en comprendre les enjeux”. Désireux de “ne pas faire n’importe quoi par inexpérience”, il considère cette première année comme un “tour d’observation” et promet de “s’impliquer plus dès l’an prochain”.

Les syndicats défilent pour la défense de la formation initiale, le 5 novembre 2014.

De l’aide, un réseau, des amis
Au-delà d’informations pratiques et de tarifs avantageux sur certaines prestations, on trouve aussi, dans un syndicat, une équipe prête à vous soutenir en cas de problème. Il y a quelques années, Vincent Bernard a par exemple consacré du temps à aider des confrères dans les démarches nécessaires pour faire reconnaître leur titre d’ostéopathe. Mariama Bah a connu des difficultés au moment du déploiement du projet Scor (scannérisation des ordonnances) et c’est aussi au sein de son syndicat départemental qu’elle a trouvé de l’aide : “C’est un bon moyen d’avoir des informations utiles et de comprendre ce qui se passe.” Lorsqu’il était en conflit avec le confrère à qui il a racheté son cabinet, Xavier Celli a apprécié l’aide juridique apportée par le syndicat de Meurthe-et-Moselle pour effectuer certaines démarches.

Pour lui, la FFMKR 54 s’est également révélée “un réseau utile à titre professionnel : c’est par ce biais que je me suis investi dans le réseau bronchiolite, dont je suis aujourd’hui le référent départemental”. Elle a joué un rôle de “tremplin pour développer d’autres activités autour de mon cabinet : c’est grâce à Corinne Friche, la présidente, que je me suis lancée dans l’ETP, par exemple”. C’est aussi par ce biais qu’il a découvert le fonctionnement de l’ARS, des URPS, etc.

Enfin, un syndicat est aussi un endroit où se nouent des liens d’amitié solides. Pour Mariama Bah, “c’est avant tout un cercle où j’échange avec des confrères, dont beaucoup sont devenus très importants pour moi sur le plan humain – même si ça manque encore un peu de jeunes à mon goût !” “Il y a évidemment une dimension affective dans notre engagement”, confirme Xavier Celli, qui apprécie de “bénéficier de l’expérience et la gentillesse de ses confrères plus âgés. Nous sommes une équipe très soudée”.

[1] Comme son nom l’indique, la FFMKR est une fédération constituée de syndicats départementaux qui choisissent d’y adhérer et conservent une réelle autonomie.
[2] Le congrès annuel de la FFMKR rassemble entre 150 et 200 personnes.

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